ELAN célèbre le 40ème anniversaire de l’OECO
L’équipe ELAN souhaite mettre à l’honneur l’Organisation des Etats de la Caraïbe Orientale (OECO) à l’occasion de son 40ème anniversaire et vous propose cette contribution de M. Fred Reno, professeur de Science politique à l’Université des Antilles. La Martinique et la Guadeloupe sont des membres associés de cette organisation dont les domaines de coopération variés représentent des enjeux transversaux cruciaux pour la région et comprennent donc naturellement les questions d’éducation. C’est en ce sens que la Martinique a accueilli la 3ème réunion annuelle des ministres de l’éducation de l’OECO en 2018, sous la co-présidence de la CTM. C’est également en ce sens que l’OECO est un partenaire incontournable de nombreux projets d’éducation dans la région, et notamment du projet ELAN.
Contribution de M. Fred Reno
La Guadeloupe et la Martinique au sein de l’OECO
A l’occasion des 40 ans de l’Organisation des Etats de la Caraïbe Orientale, il est opportun de s’intéresser à l’évolution de l’organisation et notamment à son ouverture aux territoires non anglophones. A l’évidence cette ouverture est le témoignage d’une prise en compte de la diversité qui caractérise la Caraïbe.
L’institution est créée en 1981 par le traité de Basseterre, capitale de l’archipel de Saint Kitts-Nevis.
Le 7 avril 2016 la Martinique a adhéré à l’Organisation des Etats de la Caraïbe Orientale. Trois ans après, le 14 mars 2019, la Guadeloupe devient elle aussi membre associé de l’OECO.
L’OECO n’est pas la seule ni la première organisation à ouvrir ses portes aux collectivités françaises.
Le 31 août 2012, la Guadeloupe et la Martinique sont devenues membres associés de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) et de l’Association des Etats de la Caraïbe (AEC) en février 2015. Saint-Martin adhère à l’AEC en 2016.
L’OECO comprend 7 membres de droit anglophones.
-6 territoires indépendants : Antigua & Barbuda, le Commonwealth de la Dominique, Grenade, Saint-Kitts & Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent et les Grenadines
-1 territoire non indépendant, Montserrat.
A ces territoires membres de droit s’ajoutent 4 membres associés: les Îles Vierges britanniques, Anguilla, la Martinique et la Guadeloupe.
Soit 11 Etats-membres.
Cérémonie d’ouverture de la 3ème réunion annuelle du Conseil des Ministres de l’éducation de l’OECO qui s’est tenue en Martinique en 2018.
Deux collectivités françaises membres associés de l’OECO
La différence entre membres de droit et membres associés tient d’abord à leur statut. Les membres de droit sont des territoires indépendants à l’exception de Montserrat.
Les membres associés sont des territoires non indépendants.
Les premiers ont des attributions sur l’ensemble des questions et sont impliqués dans des logiques d’intégration qui ne concernent pas la Guadeloupe et la Martinique en raison de leur statut de collectivités françaises. Par exemple, elles ne peuvent intégrer l’espace monétaire de l’OECO, ni être membre de l’autorité de l’aviation civile de la caraïbe de l’est. L’OECO a une monnaie unique, le dollar caribéen, qui ne peut se substituer à l’euro. De même, la cour suprême de la Caraïbe de l’Est n’est pas compétente dans ces deux territoires qui sont déjà intégrés dans l’espace judiciaire français et européen.
D’après l’article 6 de l’accord signé en 2019 par le président de Région Guadeloupe, Ary Chalus, par délégation du gouvernement français, « en temps que membre associé, la Guadeloupe participe aux délibérations des organes de l’OECO sur les questions relevant de ses compétences ».
Si les Guadeloupéens et les Martiniquais sont Français, ils sont avant tout Caribéens.
C’est ce que traduit le statut de membre associé. Bien que la Guadeloupe comme la Martinique soient désignés Etats membres, nos deux îles sont « associées » parce qu’elles sont des collectivités françaises.
Il est clair que ce statut limite leur niveau d’insertion dans l’organisation, mais correspond à une avancée indéniable de leur processus d’insertion.
On doit ces avancées aux mobilisations de 2009 qui ont été interprétées par les autorités françaises comme une revendication de « caribéanité ».
A la suite des États Généraux de l’Outre-Mer, organisés après ces mobilisations, on insère dans la loi du 7 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Martinique et de Guyane des dispositions qui permettent aux territoires français d’Amériques d’adhérer en leur nom propre aux organisations régionales et d’avoir des agents au sein des représentations diplomatiques françaises.
On doit ces avancées aussi à l’action de certains parlementaires et notamment au député Serge Letchimy, auteur d’une loi de 2016 qui élargit le champ géographique de la coopération et simplifie les procédures. En 2014, lors de la conférence de coopération régionale, il plaide pour un dépassement des cadres institutionnels en vigueur.
« Si on ne fait pas cet effort de dépasser les cadres institutionnels actuels, la coopération continuera de tourner en rond et on nous fera signer des documents derrière lesquels nous ne sommes pas debout. Et je ne peux pas supporter de signer des documents avec un Etat ou un pays voisin… épi mwen pé pa dèyè sa mwen ka di a !… Qu’on ne me fasse pas signer des déclarations d’intention de coopérer » déclare t-il.
Dr Didacus Jules, Directeur général de l’Organisation des Etats de la Caraïbe orientale (OECO)
Pourquoi adhérer et surtout, pour quoi faire ?
Le plus souvent, la réponse à cette question est réduite à des considérations économiques. On ne pourrait coopérer que si on peut faire des affaires. Les propos qui suivent en témoignent.
En novembre 2009, le président de la République, Nicolas Sarkozy, l’exprimait en ces termes : « Pour préparer le “développement endogène”, créer des richesses sur place, les Outre-mer doivent renforcer leur intégration régionale et donc multiplier les liens et les échanges avec les pays de leur zone géographique »
Quelques années plus tard, en août 2013 lors de la XXIe conférence des ambassadeurs, le ministre des outre-mer, Victorin Lurel, déclarait :
« … l’insertion économique régionale des Outre-mer n’a pas d’autres ambitions que d’élargir le champ du possible pour les acteurs économiques et les populations locales. Il s’agit de favoriser la modernisation des économies insulaires dans une logique de développement mutuellement profitable, grâce à la projection régionale de nos meilleures PME des Outre-mer et à la capacité de nos Outre-mer à attirer des investisseurs internationaux ».
En réalité, les domaines de coopération sont plus larges.
Le 15 mars 2019, l’université des Antilles a vécu un moment historique en accueillant l’ensemble des chefs d’Etat et territoires de la Caraïbe de l’Est. La représentante de la Région Guadeloupe Marie-Luce Penchard et Dr Didacus Jules, directeur de l’OECO ont apporté des réponses complémentaires à cette question dépassant une coopération limitée au business.
Il y a longtemps que des biens circulent dans cet espace notamment par des réseaux informels entre pays voisins. Si l’économie est une dimension de la coopération, elle ne peut en être le moteur exclusif.
Il y a des domaines pour lesquels la Guadeloupe et la Martinique ont des compétences spécifiques comme l’énergie.
Même des secteurs qui relèvent des compétences régaliennes de l’Etat, comme la sécurité et l’immigration, ont été mentionnés.
Pour la Guadeloupe, la Martinique, Guyane, Saint Martin et Saint Barthélémy, coopérer avec leurs voisins constitue aussi une revendication identitaire.
Beaucoup d’entre nous ont encore le réflexe paradoxal de parler de la Caraïbe comme d’une région distincte. Il y aurait les « Caribéens » et Nous.
Cette représentation d’une Guadeloupe et d’une Martinique étrangères à leur espace géographique a des origines historiques et politiques.
Nous oublions souvent notre espace premier d’identification : la Caraïbe insulaire et singulièrement la Caraïbe de l’est.
En réalité la Guadeloupe et la Martinique ont toujours été toujours été membre de la Caraïbe de l’est. Avant la création de l’OECO ces deux îles étaient déjà dans la Caraïbe orientale et coopéraient avec leurs voisines. Elles adhèrent « tout naturellement » à l’organisation représentative de l’ensemble des territoires de cette Région.
En vérité nous ne faisons que formaliser une réalité à la fois géographique, historique et culturelle qui s’impose à nous. Nous sommes des maillons de la chaine insulaire.
L’histoire précoloniale nous lie. Nos îles étaient peuplées de populations qui, à l’époque, circulaient avec moins d’obstacles, de territoires en territoires, sans visas. L’histoire coloniale n’est pas responsable de toutes les divisions. Mais à l’évidence elle en a ajouté au point que des Caribéens oublient parfois qu’ils sont d’abord Caribéens, persuadés que par la magie d’un passeport on peut effacer ce qui est inscrit dans la nature.
En conclusion, les propos qui suivent donnent une idée plus précise du sens de l’adhésion de la Guadeloupe et de la Martinique. Ils nous informent aussi sur l’esprit et le sentiment de solidarité qui lient les pays de l’OECO 40 ans après sa création.
Pour le Dr Didacus Jules, directeur de l’OECO, dans un entretien accordé à France-Antilles en 2019, « les citoyens de l’OECO ainsi que les gouvernements des pays membres reconnaissent et acceptent les Guadeloupéens et les Martiniquais comme des Caribéens. Elles sont toutes les deux dans la Caraïbe orientale géographiquement, ainsi il est naturel…de les considérer comme membre de la famille. »
A propos de Fred Reno
Fred Reno est professeur de science politique à l’Université des Antilles (UA), directeur adjoint du LC2S (laboratoire caribéen de sciences sociales) UMR CNRS, responsable du Master de science politique de l’UA et chargé de mission du président de l’UA aux relations internationales dans la Caraïbe.
Il est par ailleurs l’auteur d’une thèse comparative sur la Barbade et la Martinique: « l’exportation de modèles d’administration opposés: le cas de la Barbade et de la Martinique », Paris I Panthéon Sorbonne 1987. Ses dernières publications incluent :
– Border transgression and Reconfiguration of Caribbean Spaces (en collaboration avec Myriam Moïse) paru en 2020, Palgrave, Macmillan
– New political Culture in the Caribbean (en collaboration avec Holger Henke à paraître en 2021) UWI press